Asser Man Magar est un homme de 48 ans. Il a trois enfants dont deux sont adultes.
Il est un des responsables importants du village en étant le président du Comité du développement de Rapcha (MIC) après avoir été président du Comité de développement de Basa (VDC) et successeur de Jase Rai.
Il est fermier et contrôleur des projets de développement en tant qu’expert. Nous l’avions rencontré secrètement pendant la guerre civile avec Raj Kumar Shresta, le directeur du lycée et Prachna Rai.
J’étais dans ma maison avec ma femme lorsque le premier tremblement de terre est arrivé. Il était midi moins cinq, le temps était légèrement nuageux Nous avions un petit repos après notre repas. Lors du second tremblement j’étais également à la maison et je travaillais avec les charpentiers et les maçons pour ajouter un étage à notre vieille maison.
Soudain, il y a eu un grand tremblement. J’ai eu l’impression que notre maison s’effondrait. Sur le coup je ne comprenais pas ce qui arrivait. Puis dans la seconde qui a suivi, j’ai réalisé qu’il s’agissait d’un grand tremblement de terre. Et une sorte d’étrange peur s’est emparée de moi. Le tremblement ne s’arrêtait pas. Ma femme aussi était totalement terrifiée. Je l’ai tirée pour sortir de la maison. Tandis que je me précipitais hors de la maison, j’ai hurlé à mes voisins d’aller sur la place devant l’école primaire Chandrodaya.
Alors que nous sortions de notre maison, je voyais les voisins sortir précipitamment de chez eux en criant et en hurlant. C’était le chaos.
C’était samedi et l’école était fermée. Bientôt notre communauté s’est rassemblée sur la place devant l’école. Les gens de tout âge étaient terrifiés et beaucoup criaient. Après un moment il y eut un autre tremblement puissant et cette fois j’ai vu la grand colline de l’autre coté de Tholodunga, du coté de Jubing, bouger violemment. J’ai pensé que les collines des deux cotés allaient s’effondrer, que tout serait détruit et allait nous engloutir. C’était effrayant.
Pendant que cela se passait, je pensais sans cesse à mes deux enfants qui étaient à Kathmandu. Peut être le relais téléphonique était-il détruit ou peut être chacun cherchait-il à téléphoner et saturait le trafic, mais aucun téléphone mobile ne fonctionnait dans notre secteur. Je cherchais désespérément à savoir ce qui pouvait bien leur être arrivé.
Après de nombreux efforts nous avons découvert à la radio l’importance du nombre de victimes dans tout le pays. De tristes nouvelles concernant les victimes humaines et la perte de monuments historiques.
Après des essais répétés j’ai pu parler à mon fils à Kathmandu ; il était sain et sauf ainsi que son plus jeune frère. Ce fut un grand soulagement. Après une demi heure, mon fils aîné est arrivé d’Andheri où il vit avec sa famille depuis quelques années. Tous étaient saufs. Ainsi personne de notre famille n’était blessé. Et j’en étais heureux, d’autant plus qu’il en était de même dans notre village. Mais la mort de tous ces compatriotes dans notre pays était vraiment triste.
Et après la forte réplique qui a suivi le grand tremblement j’ai prié et espéré pour qu’il n’y ait pas d’autre tremblement.
Après avoir crié à mes voisins de se rassembler sur la place de l’école, j’ai rassemblé des informations auprès des villageois pour savoir s’ils étaient tous saufs et si l’un d’entre eux avait besoin d’aide.
Pendant les heures qui ont suivi, je me suis efforcé de calmer la population rassemblée sur la place de l’école ainsi que les gens de Rapcha désespérés qui allaient et venaient sur le principal chemin de Rapcha. Et plus j’essayais de les calmer, plus les anciens essayaient aussi de me calmer étant donné que j’étais dans le même état que les autres villageois.
Puis j’ai commencé à construire des abris temporaires avec les personnes de la communauté de manière à pouvoir y passer la nuit alors qu’il y avait de nombreuses répliques et que personne ne voulait dormir dans sa maison. Il y avait une grande tension mais nous essayions de nous réconforter les uns les autres pour passer ce moment difficile.
J’ai démonté mon tunnel en plastic nouvellement construit (pour faire une serre) et nous avons pu en faire un très grand toit pour nous abriter durant la nuit. Cette nuit et les suivantes pendant des semaines la plupart de mes voisins et ma familles avons dormi sous ce toit en plastic, construit près de ma maison dans un endroit sûr. Ce fut notre maison pendant un mois.
Je cherchais à joindre désespérément mes enfants à Kathmandu. J’ai pu téléphoner avec mon mobile à mon plus jeune fils Suraj après beaucoup d’essais. Quel soulagement lorsque j’ai su que lui et sa sœur, notre seule fille, âgée de 12 ans étaient en vie !Je lui ai dit que nous étions tous saufs à Rapcha et lui ai demandé d’aller voir sa sœur, notre fille qui vit dans une pension.
Je lui ai dit également de s’enquérir de nos autres parents et amis à Kathlmandu. Je lui ai conseillé de se tenir dans un endroit sûr et de voir avec l’école de sa sœur les mesures de sécurité adoptées pour protéger les enfants, dont notre fille, de tout danger.
Auparavant je ne connaissais pas les causes d’un tremblement de terre. Maintenant je le sais grâce aux radios et aux chaines de télévision qui ont donné des informations juste après les deux gros tremblements.
Ce n’était pas la première fois que je vivais un tremblement de terre. Il y en avait eu un très fort en 1988 dont je me souviens très bien. Mais il n’était pas aussi fort que les deux derniers.
Je me souviens que les anciens de mon village avait l’habitude de nous dire une histoire à propos des tremblements de terre. Ils disaient qu’il y avait un énorme poisson situé très profondément sous terre. Et de temps en temps il secouait ses oreilles. Et ce mouvement était la cause des tremblements.
Après un temps de repos dans l’abri pour dormir, ce sont les choses immédiatement nécessaires pour les villageois après les tremblements qui sont devenues les plus importantes. Les maisons du secteur de Tholodhunga étaient relativement moins endommagées mais personne ne voulait dormir dans sa maison , craignant qu’un autre fort tremblement ou une réplique arrivent et qu’il n’ait pas le temps de s’échapper dans l’obscurité de la nuit.
Nous avions appris que la nourriture dans les villes comme Kathmandu était rare, mais il n’en était rien dan le village. Les villageois n’ont pas des choses de grande valeur telles que de l’argent ou de riches bijoux, donc il n’y avait pas de problème à rester à l’extérieur des maisons. Nos biens les plus importants sont les grains, comme le millet, le blé, le soja etc. que nous stockons à l’intérieur des maisons. Le maïs est souvent stocké à l’extérieur en hauteur. De nombreuses maisons étaient abîmées mais personne n’a apporté les grains à l’extérieur pour les stoker ailleurs. Les gens semblaient avoir moins d’intérêt pour les choses habituelles. Tout le monde était dans la confusion.
Progressivement les tristes nouvelles des morts et des destruction des bâtiments historiques nous sont parvenues par la radio et la télévision. En entendant et en observant ce qui était arrivé dans d’autres parties du Népal, nous avons compris que nos souffrances étaient moindres. Ceci nous a encouragés petit à petit à reprendre le cours normal de notre vie.
En même temps la vision des souffrances de tant d’autres régions nous peinait et nous sympathisions de tout cœur avec elles bien que nous ne pouvions rien faire pour les aider.
Une chose véritablement commune à chacun dans le village après le tremblement, quelque soit son âge, a été qu’il se sentait perdu et était dans la confusion. Chacun portait sur son visage les signes clairs de la tristesse et de la terreur. Tous semblaient attendre quelque chose d’affreux et cette attente les imprégnait de tristesse. Les rumeurs infondées d’un plus grand tremblement rendaient la vie encore pire.
Oui, voir cette tristesse sur le visage de chacun a été en soi une expérience très douloureuse. Cela a été à coup sur un moment dur et nous criions ensemble pour nous apaiser.
Je ne sais pas ce qu’il en est pour les autres, mais ma vie a certainement beaucoup changé après ce grand tremblement de terre. Je sais maintenant que je connais la valeur de la famille, les voisins et la communauté. Avant le tremblement j’étais plus concerné par mes propres responsabilités et les activités de mes affaires, ma famille ou la communauté. Mais maintenant je sais que la famille, les voisins, la communauté sont en fait les choses les plus importantes d’une vie. On peut traverser les périodes les plus dures si on a le soutien de la famille, des voisins, de la communauté ; sans leur aide et leur soutien, la vie devient une véritable gageure même pour les choses les plus simples.
Les informations reçues par la radio et la télévision nous ont appris que les tremblements de terre se produisaient dans cette région après quelques décades et j’ai peur qu’il y en ait d’autres. Peur plus pour ma famille, mes voisins et la communauté que pour moi, peur surtout pour mes enfants.
Avant tout j’espère beaucoup que les villageois reprennent bientôt leur vie normale, car beaucoup sont encore fortement choqués. Et j’espère aussi que le gouvernement népalais et les organismes d’aide internationale aideront la population dans la reconstruction.
Maintenant je pense que la population a reçu suffisamment d’informatios sur les causes des tremblements de terre. Parallèlement j’espère qu’elle sera aussi bien informée sur la manière de construire des maisons résistantes aux tremblements pour éviter des quantités de morts et et les destructions de biens lorsque cela se reproduira.
Pour Rapcha nous sommes tout à fait partisan de reconstruire des maisons antisismiques, et nous le demandons avec toutes les familles. Notre secteur n’a pas été le plus touché cette fois ; mais peut être la prochaine fois cela nous frappera plus durement. C’est pourquoi nous nous aimerions être prêts pour la pire des situations qui pourrait se produire à l’avenir.
Interview d’Asser Man
Marc Béchet – novembre 2015