Il vieillit mais conserve toujours sa verve quand il décrit les deux tremblements.
Il est encore fermier, mais sa position essentielle est celle de grand prêtre de la religion des Khaling Rai. C’est lui qui officie aussi bien pour les fêtes de Was que pour les enterrements ou encore pour guérir.
Sa maison a été abîmée et il ne peut pas la réparer car il est trop âgé. Il compte sur Majam Lal pour reconstruire l’école. Il se souvient de Maken Ful qu’il a guérie une fois …
J’étais parti avec un ami et en revenant, arrivé derrière la maison d’Aananda, ça s’est mis à bouger. Je ne pouvais plus marcher. Je me suis assis par terre. Je voyais les maisons bouger. Les murs du bâtiment de l’école près de chez Aananda sont tombés. Mais heureusement c’était samedi (jour férié au Népal).
Le 12 mai, j’étais dans la maison construite près du lieu sacré des Khaling Rai. Lorsque le tremblement a commencé, je suis sorti de la maison. A ce moment une pierre de 20 cm est tombée à mes pieds. Si elle m’avait touché, je serais mort. Le second tremblement était bien plus fort que celui du 25 avril. Il y avait beaucoup de bruit, des glissements, des mouvements de terrain. Je me suis assis par terre dans le lieu sacré et j’ai tenu l’arbre sacré. J’étais couché sur le sol. Je ne pensais qu’à sauver ma vie.
Après le second tremblement je suis retourné chez moi pour avoir des nouvelles de mon fils, de ma fille, qui habitent dans le village. Au début j’ai trouvé que ma maison n’était pas abîmée, mais en regardant plus précisément j’ai vu qu’il y avait des dégâts. J’ai alors pensé à mes voisins. C’était pareil pour tout le monde. Ensuite j’ai cherché ce qu’était devenu mes animaux, comment donner à boire à ceux qui étaient en haut du village. Mais il m’était impossible d’y monter. J’ai craint qu’ils ne soient morts.
Après cela les gens se sont rassemblés, ils ont sorti les choses les plus importantes de leurs maisons. Toutes les familles ont habité ensemble dans un endroit réservé jusqu’alors aux animaux ; c’est devenu notre habitat provisoire. Nous sommes restés là pendant un mois et demi. Mon fils a beaucoup aidé pour sauver des vies.
Lors du rassemblement des villageois après le tremblement, j’ai parlé avec les gens ; je suis resté là. Mon fils a été voir les autres. Après le premier tremblement les gens parlaient. Mais je ne me souviens plus de quoi. J’étais choqué. Après le second tremblement du 12 mai j’étais également choqué, car même si j’étais sauf, après la chute de la pierre à mes pieds, je me souvenais que mes parents m’avaient dit qu’après un grand tremblement de terre il pouvait y avoir des répliques. La seconde réplique a été si forte que j’ai dit aux autres que nous allions tous mourir, que c’était la fin de la vie.
Pourquoi ces tremblements ?
Kabare a pensé que Buma (le dieu des Khaling Rai) était en colère parce que les gens avaient fait du mal, qu’ils n’avaient pas respecté Buma, qu’ils n’avaient pas fait de sacrifices d’animaux, que Buma ne voulait pas de la maison construite près du lieu sacré. On lui avait bien demandé son avis pour cette construction destinée aux touristes étrangers. Il avait donné son accord. Mais avec le tremblement de terre, il avait compris que Buma n’était pas content.
Mais lorsqu’il a appris les catastrophes de Kathmandu, de Namche et d’ailleurs, après tous les morts, il a pensé que Buma, leur dieu local, n’était pas assez puissant pour faire tous ces tremblements. Ce n’était pas Buma, mais le grand Dieu, au dessus de Buma qui avait fait cela parce qu’il était en colère. Il ne connaît pas le nom de ce grand dieu, mais en 1934 c’était déjà ce grand dieu. Tout le monde n’a pas la même opinion sur ces causes, mais c’est la sienne.
Quand je repense à ces moments, j’ai très peur. Quand je pense aux tremblements de terre je suis choqué, j’ai un hoquet. Pendant un mois quand j’étais assis je tremblais en pensant à ce jour. Pour moi, il n’y aura plus de tremblement de terre.
A mon avis, bien que la police ait classé ma maison comme inhabitable, je ne veux pas la détruire. Je n’ai pas assez de force pour la reconstruire. Ce sont les jeunes qui doivent penser le changement. Moi, je ne peux pas le penser.
Je ne crois pas que l’on puisse offrir quelque chose au grand dieu pour arrêter un tremblement de terre, ni pour qu’il n’y en ait pas d’autre. Cela ne vient pas de notre main mais de sa main.
Cependant à l’avenir il faut éviter de construire des maisons avec des pierres, car c’est dangereux. Quant à la manière de construire, je crois qu’il ne faut pas construire avec plus d’un niveau, et au dessus il faut mettre des tôles ou du bois. Mais c’est cher et impossible pour moi. Je voudrais savoir comment on peut construire en antisismique.
Mais pour finir je vous remercie pour les études que vous avez faites sur le village, pour les vêtements que vous nous avez donnés, et pour avoir permis à mes petits enfants d’aller à l’école grâce à vos actions.
Marc Béchet – novembre 2015