Après plus d’une dizaine d’années sans être allée au Népal, mes premières impressions de ce voyage en mars 2018 sont marquées par des regards étonnés souvent agréablement surpris par les évolutions récentes ou en cours notamment au village de Basa-Rapcha.
A d’autres moments, ce sont des regards catastrophés comme par les séquelles des séismes sur les monuments et dans les quartiers des villes de la vallée de Katmandou, le niveau extrême de pollution de l’air à Katmandou ou encore par l’amoncellement des déchets et l’invasion de déchets plastiques qui se propagent sans solution.
Au village, grand étonnement de découvrir deux bulldozers en pleine action en train de tailler dans la pente des routes secondaires à partir de la piste déjà tracée pour la relier aux différents hameaux, c’était très bruyant mais impensable il ya encore peu de temps de voir ces énormes engins de fabrication française (JCB) en altitude dans l’Himalaya.
Autre étonnement, d’avoir été dans une jeep bloquée sur la piste à l’entrée de Kastup pendant quelques minutes à la suite d’un constat d’accident de circulation entre une moto et un tracteur.
Les avis divergeaient sur les responsabilités des dégâts matériels sur la moto mais le tracteur appartient à un enseignant qui a déjà investi dans la location de services de transport locaux. La fin d’une époque, le portage par doko ou le transport par mulets ?
Avec la piste tout va très vite, les matériaux lourds pour la construction sont transportés par des tracteurs qui vendent leur service pour faire des aller et retour le long de la piste. De jeunes garçons qui chevauchent des motos avec portable, casque et blouson surprennent avec leur allure adolescente portant les références de la mode de leur génération. Ce n’est qu’un début mais cela va se propager très vite, tout en jouxtant des formes de vie traditionnelle qui subsistent surtout dans le travail agricole et la vie des femmes. C’était la pleine saison des labours et des semailles avec un araire tiré par des buffles sur des petits lopins de terre en terrasses. De nouveaux métiers se développent comme chauffeurs de jeeps, de tracteurs ou de motos mais on continue à casser les cailloux à la main pour répondre aux énormes besoins des chantiers en cours.


Déjà une nouvelle halte pour le thé et le dalbhat s’est implantée sur la piste à mi-parcours entre Paphlu et Rapcha.

Plusieurs jeeps quittent le village au petit matin pour rallier Paphlu ou en reviennent en évitant un trajet le soir au phare. Il reste difficile, long (environ 5 heures) et fatiguant de franchir les nombreux gués de la piste et de piloter entre les ornières dans un nuage de poussière. Avec ce mode transport des produits lourds commencent à arriver comme des bonbonnes de gaz pour la cuisine accessibles seulement à ceux qui ont des revenus réguliers. C’est une perspective importante pour la lutte contre la déforestation par l’usage du bois combustible.

Rapcha devient le dernier point d’approvisionnement pour les villageois des autres secteurs de la municipalité de l’autre côté de la Dudhkosi et à partir de la fin de cette piste, on revoit des porteurs lourdement chargés traversant les passerelles car la piste n’ira pas plus loin. La connexion avec la piste de Nunthala déjà tracée devra franchir une barrière rocheuse à une date indéterminée.

Pendant la saison de la mousson on reverra sûrement certains porteurs ou muletiers car la piste sera infranchissable pendant les pluies. Et reste soumise à des glissements de terrain toute l’année.

Avec l’attractivité de la piste, des villageois reconstruisent plus haut sur la pente tandis que les hameaux d’en bas comme Lop et Bodu se vident lentement. Des maisons paysannes sont déjà abandonnées et des familles sont transplantées plus haut près des écoles et de la piste.
Un centre administratif ou mairie du secteur va être construit en face du dispensaire bien situé près de la piste principale. Ce sera le nouveau centre de gravité.
Beaucoup de maisons sont reconstruites avec des toits en tôles colorées et les chantiers de construction sont nombreux grâce au retour de l’argent des jeunes migrants du Gulf, le versement d’indemnités d’Etat qui redistribuent lentement l’aide internationale et des actions de solidarité comme celles d’ANUVAM en faveur de la reconstruction. Cependant des maisons lézardées ou des murs béants subsistent encore dans le village.
La présence d’habitat précaire de certaines familles ainsi que leur mode de vie très pauvre montrent que comme partout dans le monde, les inégalités se creusent entre les gagnants de ces évolutions et ceux qui restent en marge.
D’autres évolutions positives m’ont frappée notamment la distribution de l’électricité aux maisons individuelles, l’accès à l’eau courante au robinet et la généralisation des latrines.
L’accès de tous à ces services et leur bon fonctionnement sont des priorités pour un progrès partagé avec tous les habitants. Des hameaux n’ont pas encore accès à ces services de base, c’est une préoccupation majeure pour les élus locaux. Par exemple autour du dispensaire des enfants continuent de faire des va et vient pour quérir de l’eau dans de gros bidons. Bien qu’il ait une panne
d’électricité pendant tout le séjour dans le secteur autour du dispensaire, il est apparu clairement que le dispensaire jouait un rôle important dans la prévention et pour les accouchements.
Invitée à une cérémonie traditionnelle en l’honneur de la déesse de la fertilité Wash des Khaling Rai, ont cohabité pendant cet évènement des prêtres animistes, ainsi qu’une grande prêtresse très âgée, des femmes villageoises dansant avec une gestuelle appelant les bonnes récoltes en ce début du printemps, des sonneurs de tambours mais aussi des jeunes gens habillés à la mode occidentale prenant des vidéos et des selfies en famille avec leurs amis vêtus des costumes et bijoux traditionnels.

Plus surprenant, plusieurs familles du village déclarent s’être converties récemment à la religion chrétienne sous l’influence d’une église implantée avec une chapelle à Bodu dénommée Eglise chrétienne de Sion, ces personnes ne participent pas à ce rite chamanique et se démarquent de certaines coutumes en particulier par l’abstinence d’alcool.

Fin mars 2018, ANUVAM vient de passer un cap décisif avec l’achèvement de la 6ème maison d’une famille de villageois très démunie, reconstruite selon un procédé parasismique avec des matériaux locaux par les artisans sous la conduite de Yadav et Jase nos correspondants de l’association locale FEILSS très investis dans les projets du village.

Ce résultat exemplaire sera présenté par notre jeune technicien Vincent Pena, avec un manuel méthodologique produit par CAPA en anglais et en népalais, lors d’un colloque international à Katmandou en avril devant des experts de la reconstruction post séismes.
Par la formation dispensée aux ouvriers du bâtiment et grâce à ce manuel financé par ANUVAM, cela constitue un apport significatif de notre association à l’économie locale et au développement des compétences pour améliorer l’emploi dans ce secteur.
Les tranchées façonnées par les bulldozers ont généré des stocks de bois à récupérer pour de futures constructions indispensables pour maintenir la construction avec des matériaux locaux, bois et pierre.

Ce résultat renforce notre crédibilité dans la communauté et auprès des responsables locaux qui apprécient notre persévérance depuis plus de 25 ans dans le soutien au village. Cela crée aussi une attente et une responsabilité face aux autres situations qui nécessiteraient l’aide de notre association à l’avenir.

Pour persévérer dans ces actions de solidarité, le contexte politique est plutôt favorable après deux décennies perdues en conflit et incertitude. Les élections locales et nationales de 2017 apportent un vent d’espoir et de stabilité au Népal.

Le nouvel élu local, bien connu de notre association Asherman Magar, représentant de Basa-Rapcha dans la municipalité qui englobe plusieurs villages, a fait part des besoins et des demandes de la communauté de ce secteur auprès de notre association pour consolider leur développement et réduire de graves inégalités internes.

EVELYNE PICHENOT, présidente de l’association ANUVAM, avril 2018